Le 9 mars 2016 a été un boulet de canon sifflant aux oreilles de Valls/Hollande. L’exécutif gouvernemental a compris que les coups de menton autoritaires ne suffiraient pas à désamorcer le crescendo des manifestations et de la web-colère. Il lui fallait renouer le fil rompu d’abord avec la direction CFDT, qui s’était accommodée depuis 2012 des entailles portées aux droits des salariés, quand elle ne les pas anticipées dans les cabinets ministériels où elle a placé des antennes (au Ministère du travail) ; mais surtout en direction de la jeunesse pour éteindre un risque d’embrasement. Manuel Valls a donc tenté de lui couper son élan. Comme s’en réjouit Claire Guélaud dans le Monde du 18 mars (elle qui avait tancé les boute-feux du gouvernement huit jours avant): « L’affaire était si mal engagée et si périlleuse qu’elle méritait bien une reculade ». Mais l’opération pourrait bien avoir déjà échoué.
La jeunesse s’organise
Avec 150 000 manifestants jeunes recensés le 17 mars, la journée marque un progrès réel, et notamment dans les lycées. « Le mouvement se structure » dit encore le Monde du (19 mars), dans un article signé de son service campus. Cela se voyait bien à Paris par exemple, avec des cortèges jeunes plus organisés, plus sonores, plus politiques. Les blocages dans les lycées augmentent : 115 selon le ministère de l’Education, 200 lycées en action selon l’UNL et la FIDL. Nos correspondants régionaux notent en peu partout des cortèges jeunes en hausse (exemple : deux fois plus à Clermont-Ferrand), y compris dans des villes moyennes (500 à Vichy), avec des formes très militantes (assemblée générale en plein air à Lyon). A Paris, la poussée est moins évidente numériquement, mais le parcours étendu de la manifestation a sans doute été rejoint (ou quitté) à divers endroits par des grappes de jeunes parfois empêchés (présence policière, tensions) ou retardés. A Poitiers, un « mouvement de précaire » se forme à l’Université. Un début de Coordination nationale étudiante se réunissait le 19 mars à Paris 8 (voir article…).
Des reculs très insuffisants
Manuel Valls a payé un certain prix pour redorer la loi Travail. Ce n’est pas rien de revenir au pouvoir d’appréciation des juges prudhomaux lorsqu’il est question de dédommager un-e salarié-e abusivement licencié-e, plutôt qu’appliquer un barème automatique qui aurait fait du CDI un CDI précaire (avec licenciement prévisible et calculé). Le gouvernement avait beaucoup promis au patronat en cette matière, et Gattaz fait la grimace, de même que les pourfendeurs libéraux du CDI qui veulent le transformer en CDD à peine amélioré. Les jeunes avaient bien compris la manœuvre, quand on leur vendait la loi Travail comme une loi soi-disant contre la précarité !
Autre retouche : il faudra passer par la négociation dans les PME de moins de 50 salariés pour imposer un forfait jour aux cadres, ce qui fait hurler la CG-PME. Le gouvernement renonce aussi à augmenter la durée du travail des apprentis (10 heures), mesure inique dont les jeunes avec peu de bagages scolaires appréciaient … le progrès. La possibilité de licencier sans vergogne après une baisse du chiffre d’affaires est maintenue, mais pour les multinationales très profitables avec des filiales françaises, un juge veillerait à ce qu’elles ne provoquent pas artificiellement des faillites sur le territoire (on se souvient de l’usine MétalEurope démantelée en 2003, possédée par une holding suisse).
La Garantie jeunes, qui permet l’accompagnement de jeunes en grande difficulté (aujourd’hui 50 000 sont dans le dispositif), avec une sorte d’équivalent du RSA en revenu, a été rebaptisée Garantie « universelle » au faisant miroiter l’idée qu’elle pourrait s’étendre aux 900 000 jeunes dans cette situation de « non emploi-non stage-non formation ». Mais cela coûterait des milliards ! Et la troïka européenne, à qui la France a sagement promis cette « contre-réforme » du marché du travail, n’est sans doute pas prête à accepter, même pour la paix sociale, des dérapages budgétaires. On passerait donc à 200 000 jeunes en 2018, semble-t-il.
Valls a également desserré l’étreinte du blocage salarial (depuis 6 ans) dans la fonction publique (Etat, territoriale, hôpitaux), en lâchant le 17 mars 1,2% d’augmentation du point d’indice en deux temps (dont le deuxième juste avant le premier tour de 2017…). Décision qui provoque ou accentue le cafouillage dans les plans de mobilisation intersyndicaux prévus initialement le 22 mars.
Comment au total apprécier ces « reculades » ? Elles sont bien entendu à mettre sur le compte des mobilisations montantes. Mais elles démontrent avec éclat que le gouvernement mentait avec un aplomb lorsqu’il affirmait (comme Hollande à France Inter fin février), que la loi travail s’effectuait à droits constants. Valls colmate quelques insanités voyantes et c’est tant mieux. Mais il en reste beaucoup, il reste même l’essentiel : la fin de la hiérarchie des normes, du principe de faveur, la fin des 35 heures, les dérogations aux durées du travail, la modulation étendue sur trois ans, les licenciements facilités, le retour au patronat « seul maître » à bord dans l’entreprise.
Au total, Valls ne propose rien d’autre qu’un « donnant-donnant » : arrondir quelques pointes acérées pour faire passer un recul global. C’est cela la négociation sociale « moderne » : on négocie quelques reculs sur des mesures partielles (il y a tellement de possibilités dans les 52 articles de la loi !) contre un gros recul d’ensemble. Pas étonnant que Gattaz reste satisfait, même s’il va mobiliser une armée de lobbyistes vers les députés.
Consolider et protéger la mobilisation
Tout indique donc que la présentation de la loi travail bis en Conseil des ministres le 24 mars va s’accompagner de mobilisations accrues. Mais tout indique aussi que l’affrontement va prendre maintenant une dimension plus aigüe. Un indice est la création d’un climat brutal et policier, d’abord en direction de la jeunesse. Après les clins d’œil, les coups de matraques ne sont pas loin, histoire de créer de l’inquiétude chez les plus jeunes ou dans leur famille. Les tensions ont déjà commencé dans les lycées, avec plusieurs dizaines d’arrestations. Dans les universités, la fermeture fréquente des établissements le 17 mars pour empêcher la tenue des assemblées générales est également le signal de possibles provocations pour entraver l’expression démocratique du mouvement.
Le 24 mars est donc une date-relai importante. L’intersyndicale nationale CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL appelle à mobiliser ce jour-là, avant le 31 mars. Il est important de consolider les rapports unitaires entre des structures syndicale « salarié-es » et « jeunes », comme cela commence par exemple à Lyon entre les services d’ordre face à d’éventuels dérapages. De même, l’Union locale CGT du 13ème arrondissement de Paris affiche son soutien aux étudiants de l’Université de Tolbiac fermée le 17 mars et entourée de CRS. Elle appelle à se soutenir mutuellement, à participer aux assemblées des uns et des autres. L’auto-protection unitaire des mobilisations va devenir une nécessité.
Mais d’ici le 24 mars, il reste nécessaire d’enraciner le mouvement, de le consolider. Des assemblées de débat et de décryptage de la loi Travail peuvent être organisées partout, dans les amphithéâtres étudiants, les bourses du travail. Il est possible de faire appel à l’intersyndicale des inspecteurs-trices du travail (CGT-SUD-FSU), au Syndicat des avocats de France (SAF), tous réunis dans le Collectif national le Code Qu’il Faut Défendre (CQFD : https//cqfddutravail.wordpress.com).
Le Collectif CQFD organise le 23 mars à Montreuil (Seine Saint-Denis) un important meeting où participeront des responsables nationaux de la CGT, la FSU, Solidaires, l’UNEF, l’UNL, la FIDL, des associations féministes, et des porte-parole des forces politiques de gauche (PC, PG, Ensemble, EELV, PCOF, NPA, courant critique du PS). Cette initiative peut être le symbole national d’un arc de forces sociales et politiques pour amplifier le rapport des forces et accentuer la crise dans le dispositif du pouvoir.
Vers un 31 mars en grève générale, et « sans rentrer chez nous »
Les discussions commencent dans les équipes militantes pour une très grosse journée de grève et de manifestations le 31 mars. Il faudrait dépasser très nettement les 500 000 du 9 mars, viser les 1,3 millions de signataires de la pétition LoiTravailNonMerci, voire atteindre des chiffres comparables à 2010 ou 2006 (CPE).
La direction confédérale CFDT a beau estimer que le projet de loi a évolué dans son sens, ses propres équipes syndicales pourraient être nombreuses dans l’action le 31 mars. Par exemple l’intersyndicale CGT, CFDT, FO de Harribo appelle le 31. Le syndicat CFDT Betor-PUB implanté dans les bureaux d’études, la publicité, la comptabilité, écrit une adresse à la direction confédérale, de même que le syndicat CFDT de SOPRA-STERIA (usages du numérique, 16000 salariés). Le 17 mars à Saint-Etienne, la CFDT du secteur bois défilait avec les drapeaux en berne.
Autour du 31 mars, des idées de grève reconductible circulent (secteurs cheminots, fonction publique…). Le journal Fakir (www.fakirpresse.info) fait circuler l’idée : le jeudi 31 mars, On ne rentre pas chez nous ! L’idée est de rester sur les places des manifestations, de faire la fête, de prolonger le temps du Tous ensemble et de la joie de lutter.
Il n’est pas impossible que ce qui a été subi passivement depuis 2010/2012 à cause du plafond de verre d’un gouvernement se disant « de gauche » finisse par exploser. Et que le gouvernement soit en crise ouverte. Le Mouvement Ensemble propose à toutes les forces de gauche opposées à cette loi de se rassembler avec les animateurs-trices du mouvement pour discuter d’une alternative politique avant 2017.
Jean-Claude Mamet
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