la SSA est un projet politique, qui s’intègre dans un projet de société construit sur les valeurs de solidarité, de dignité humaine, de respect du vivant.
Ses 2 objectifs articulés sont : le droit à l’alimentation et le modèle agricole paysan agroécologique
Les trois piliers qui assurent sa cohésion et sa faisabilité sont : l’universalité, la cotisation sociale et le conventionnement.
Le fil rouge du projet est la démocratie affirmée comme visée et comme moyen.
L’enjeu politique la SSA : qui décide du contenu de nos assiettes et du mode de production de l’alimentation ? Aujourd’hui c’est le complexe agro-industriel*. La SSA propose que chacun.e ait accès à une alimentation ni polluante, ni polluée, choisie dans une offre de produits conventionnés collectivement par les gestionnaires des caisses de sécurité sociale alimentaire. Cette organisation permettrait à chacun.e d’avoir une voix dans le processus de décision de la production et de la distribution de cette alimentation : le début d’une démocratie alimentaire par le transfert d’une partie du pouvoir du complexe agro-industriel à la population.
Trop chère, la SSA ?
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, dans une France affaiblie et en ruines, une approche financière aurait empêché d’envisager un tel projet. ** La mise sur pied de la Sécurité Sociale était bien une mesure politique qui a apporté du mieux vivre au plus grand nombre sans mettre en péril l’économie du pays.
Cependant, si «l’ économie », trop souvent confondue, dans la novlangue, avec le capitalisme, a pris une place disproportionnée dans l’argumentation des décideurs, évaluer le coût de la SSA reste une démarche incontournable… en deux étapes.
1- Que coûte l’agriculture industrielle ?
Cette évaluation n’a pas été faite. Et pour cause ! Mais, si l’on ajoute la prise en charge des infrastructures logistiques, d’une partie de la recherche (partenariats public-privé – Crédit Impôt Recherche...), des aides aux entreprises, des aides à la « modernisation » et aux investissements... par les finances publiques, le coût des problèmes de santé liés à la malbouffe et à la pollution payés par la Sécurité sociale, au coût de la destruction des bioécosystèmes, de la stérilisation des sols, de la destruction des talus et de la replantation des haies, du ramassage des algues vertes, de la perte de la biodiversité, de la perte de la souveraineté alimentaire, de la pollution et de l’émission de GES, de la désertification des campagnes et de la souffrance infligée aux paysans…sur le plan financier et plus encore sur le plan humain, social, et environnemental, le coût des choix actuels est exorbitant.
Que coûtera une agriculture sans paysans plus orientée vers l’alimentation des retours sur investissements, des méthaniseurs, des réservoirs de voitures... que vers l’alimentation humaine ? Que coûtera en déshumanisation cette artificialisation généralisée des campagnes vidées de leurs paysans remplacés par des des robots (traite, désherbage, alimentation du bétail, pollinisation…), tracteurs et machines autonomes ? La transition écologique, version croissance verte, exige des investissements croissants impossibles à assurer par les paysans, mais aussi le développement sans fin des activités extractives, une production d’électricité en augmentation exponentielle et des risques de catastrophes prévisibles (1). Des sommes folles sont distribuées pour une agriculture 4.0 axée sur des technologies innovantes- robotique, numérique, biotechnologies [mutagénèse, invention de nouveaux micro organismes ]… - et inscrites dans une perspective transhumaniste dessinée par la convergence NBIC Nanotechnologies, Biotechnologies, sciences de l’Information et sciences de la Cognition (1) Les plans de modernisation se succèdent : du Plan Monnet au Plan «Agriculture-Innovation 2025»… tous accompagnés de soutiens financiers publics, de normes adaptées et adaptables. Avec quels résultats ?
La modernisation, souhaitable, aurait pu emprunter d’autres voies. Celle choisie par nos dirigeants répondait aux besoins de la reconversion de l’appareil de production de guerre états-unien. Elle a favorisé l’agriculture industrielle et la naissance du complexe agro-industriel actuel. Les alternatives biopaysannes ont été marginalisées. (2) A quel prix financier, humain, écologique ?
Si la SSA permettait d’inverser l’évolution mortifère actuelle, ça vaudrait le coût ?
2- Que coûterait la SSA ? 120 milliards par an
C’est une réponse réductrice. Cet argent n’est pas perdu. C’est, dans le meilleur des cas, un transfert d’une part de la plus value créée par les travailleurs, captée illégitimement par le capital, récupérée par les travailleurs. Elle va profiter, dans tous les cas, aux plus exploités (3). Elle sera réinjectée dans l’économie et alimentera une filière socialement et écologiquement vertueuse.
La SSA veut substituer un droit à une aide devenue structurelle ce qui contribuerait d’une part à éviter les démarches humiliantes (voir les travaux de Bénédicte Bonzi) aux 8 millions de personnes contraintes à l’aide alimentaire qui passeraient du statut d’assisté.es à celui d’ayants droit, d’autre part à garantir une alimentation, choisie en connaissance de cause et de qualité, par une allocation dédiée et au montant incompressible. De quoi faire reculer les maladies et les dépenses de la Sécurité Sociale.
Ses promoteurs veulent garantir des bonnes conditions de travail et de rémunération à ceux et celles qui nous nourrissent, des pratiques capables de reconstruire la biodiversité et les équilibres des agroécosystèmes, la souveraineté alimentaire chez nous et ailleurs…, un rééquilibrage de la population rurale et une reconnaissance des savoirs paysans et artisanaux, vantés et monnayés dans les publicités, mais détruits par « la surenchère technocentrée ».
Soutenir le modèle agricole paysan, c’est soutenir un modèle de ferme autonome qui travaille avec la nature (http://www.confederationpaysanne.fr/gen_article.php?id=10&t=Qui%20sommes-nous%20?) et privilégie une agriculture nourricière peu polluante, peu émettrice de GES, moins gourmande en eau…
Le coût de la SSA n’a de sens que s’il s’inscrit dans une pensée systémique et élaborée en dehors des normes comptables du capitalisme. Une question essentielle est alors : comment inverser le rapport de forces politique actuel ?
Danièle Mauduit , le 24 août 2023
Notes
* « l’ensemble constitué par l’industrie amont (semenciers, phytosanitaires, produits animaux, machinisme, etc.), l’industrie aval ( collecte, transformation, distribution), les forces d’encadrement du monde paysan (syndicalisme majoritaire, chambres d’agriculture et autres lieux de réflexion ad hoc), les décideurs publics (l’État, les collectivités, etc.), et le jeu des relations complexes (lobbying) entre ces quatre pôles destinés à fabriquer les choix publics. » observations sur les technologies agricoles- L’atelier paysan- la petite bibliothèque paysanne
**« Nul ne saurait ignorer que l’un des facteurs essentiels du problème social en France, comme dans presque tous les pays du monde, se trouve dans ce complexe d’infériorité que crée chez le travailleur le sentiment de son insécurité, l’incertitude du lendemain qui pèse sur tous ceux qui vivent de leur travail. Le problème qui se pose aujourd’hui aux hommes qui veulent apporter une solution durable au problème social est de faire disparaître cette insécurité. Il est de garantir à tous les éléments de la population qu’en toute circonstance ils jouiront de revenus suffisants pour assurer leur subsistance familiale. C’est ainsi seulement, en libérant les travailleurs de l’obsession permanente de la misère, qu’on permettra à tous les hommes et à toutes les femmes de développer pleinement leurs possibilités, leur personnalité, dans toute la mesure compatible avec le régime social en vigueur. Ambroise Croizat 8 août 1946, Assemblée nationale. Sauvegarder le capital humain du pays par la prévention de la maladie
Documents consultés :
1-Hélène Tordjman « La croissance verte contre la nature » - Editions La Découverte.
2- Le paysan impossible – récit de luttes . Yannick Ogor -juin 2017- éditions du bout de la ville12€-épuisé
- Nicolas Legendre - Silence dans les champs – avril 2023 -Editions Arthaud
3- sur le financement de la SSA : https://securite-sociale-alimentation.org/production/securite-sociale-de-lalimentation-et-budgets-alimentaires-des-menages/