En décidant de salir la mémoire de Rémi – plutôt que de présenter ses condoléances à la famille – et de dénoncer la violence des manifestants, le gouvernement fuit ses propres responsabilités. La manœuvre est classique, qui consiste à faire porter le débat sur la violence (supposée) des manifestants plutôt que sur les raisons qui ont poussé des milliers de personnes à se mobiliser contre un projet d’aménagement considéré comme inutile et imposé et qui est, désormais, meurtrier.
Entêtement meurtrier et répression des oppositions
La mobilisation citoyenne contre le projet de barrage de Sivens n’a pas débuté le week-end dernier. Depuis des mois, des paysans, des riverains et des militants dénoncent un projet aberrant, dont l’objectif est de soutenir l’agriculture productiviste et insoutenable plutôt que de protéger une zone humide, habitée par de nombreuses espèces protégées. Depuis des mois ces opposants alertent sur la brutalité des forces de l’ordre. Si le gouvernement ne les avait pas délibérément ignorés, s’il avait accepté d’écouter les arguments des opposants plutôt que de leur répondre par la force, Rémi serait encore vivant.
Rien ne justifie ce refus du dialogue et cet entêtement meurtrier. Le gouvernement doit donc répondre de ses choix et de leurs conséquences. On rappellera ici que le principe qui doit théoriquement guider tout opération dite de "maintien de l’ordre" est le suivant : l’intervention des autorités ne doit pas créer un trouble à l’ordre public plus important que celui auquel la dite intervention est censée répondre. Quelle est donc la nature de ce trouble qui justifierait la répression brutale et aveugle ? À Sivens, en prévision du rassemblement du week-end passé, les engins de chantier avaient été préalablement déplacés. La présence de gendarmes mobiles suréquipés ne visait donc pas à empêcher des actes de sabotage.
Ce que le gouvernement souhaite éviter à tout prix, à Sivens comme ailleurs (à Notre-Dame-des-Landes par exemple), c’est donc bien l’expression même de l’opposition à ces grands projets inutiles, imposés et désormais meurtriers. Ce que Manuel Valls – alors ministre de l’Intérieur, il parlait, à propos de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, d’un « kyste » – et François Hollande ne veulent pas tolérer, ce sont ces occupations assorties de l’expérimentation de modes de vie alternatifs, autosuffisants, réellement durables.
François Hollande devant un choix
Ce n’est qu’un renoncement de plus, tragique, pour un président qui se voulait « à l’écoute » et affirmait ne pas vouloir « diviser » la société. L’histoire retiendra désormais de la présidence de François Hollande qu’elle est la première depuis celle de Giscard d’Estaing au cours de laquelle un militant a trouvé la mort lors d’une manifestation écologiste. Pour notre génération, celle qui a grandi avec le mouvement altermondialiste, la mort de Rémi fait écho à celle de Carlo Giuliani à Gênes en 2001, tué par la brutale et meurtrière police italienne à qui Berlusconi avait donné carte blanche.
En 1986, les socialistes considéraient la mort de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986, comme une faute politique. Le jeune homme avait été tué par des policiers, partis « à la chasse aux casseurs » après une manifestation étudiante. Alain Devaquet, ministre délégué à l’Enseignement supérieur, avait été contraint à la démission. Jacques Chirac, alors premier ministre, décidait par la suite de retirer le projet de loi. Le "bataillon de voltigeurs", mis en place par Robert Pandraud et Charles Pasqua, était rapidement dissout, bien que ces derniers aient décidé de nier leur responsabilité, préférant salir Malik. De son côté, François Mitterrand avait transmis à la famille de Malik le « témoignage de la nation ».
François Hollande est donc confronté à un choix : se ranger du côté de Berlusconi et Pasqua, en refusant de reconnaître la responsabilité de son gouvernement ou, au contraire, reconnaître le désastre que leurs choix ont provoqué, et mettre en place une commission d’enquête indépendante sur les circonstances exactes du décès de Rémi. Au-delà, la seule sortie honorable serait de décréter un moratoire général sur l’ensemble des grands projets inutiles, et imposés.
Des pratiques et des expériences à défendre
De fait, le barrage de Sivens n’est pas le seul projet d’aménagement pour lequel le gouvernement français fait le choix de la répression et de la criminalisation des mobilisations citoyennes contre le dialogue. Notre-Dame-des-Landes, la ligne ferroviaire Lyon-Turin – dont les travaux doivent débuter côté français en décembre – ou encore la centrale biomasse d’E.On à Gardannes, Europacity, l’usine des 1000 vaches, OL Land, etc. sont autant de grands projets d’aménagement contre les dangers desquels se mobilisent de nombreux groupes citoyens. Pour que le sang ne coule pas à nouveau, il est encore temps de stopper ces projets d’un autre temps et contraires à l’urgente transition écologique et sociale.
François Hollande, le gouvernement et le Parti socialiste semblent totalement incapables de lire l’opposition à ces projets comme une manifestation du « principe démocratie » qu’analysent le sociologue Albert Ogien et la philosophe Sandra Laugier. Hollande, Valls et le PS comprennent ces mobilisations comme autant de formes d’obscurantisme et de blocage rétrograde là où nous voyons des pratiques et des expériences à défendre, des pistes pour inventer une société réellement durable et respectueuse des écosystèmes. Plutôt que d’envoyer la troupe, il serait possible d’imaginer des politiques réellement innovantes, à partir des pratiques et expérience dans lesquels s’engagent les acteurs mobilisés à Notre-Dame-des-Landes, à Sivens, etc.
En plein débat sur la transition écologique, on se prend à rêver que ces zones initialement vouées à être bétonnées soient reconnues comme des espaces d’expérimentations de modes de vie soutenables, accueillant ici un centre de ressources et de recherche sur la permaculture et l’habitat léger ; là un lieu de formation à l’agroécologie paysanne ; ailleurs un laboratoire participatif de travail sur les énergies renouvelables.
Entre la répression policière et le soutien à des expériences concrètes de transition écologique, entre le déshonneur et l’expérimentation sociale, François Hollande et le gouvernement ont donc le choix.