Parcours chaotique et habituel des demandeurs d’asile... Cerif est séparé de sa famille et hébergé loin d’elle avant de bénéficier d’un regroupement familial quelques mois plus tard. Des traumatismes dont on mesure mal l’ampleur.
Mais la sentence de l’Etat belge tombe : déboutés de leur demande d’asile, parents et enfants doivent quitter leur hébergement et finissent à la rue. Sous le coup d’une mesure d’expulsion, sans logement ni moyens d’existence et terrifiés à la pensée de revenir en RDC, ils fuient la Belgique pour la France et arrivent à Saint Brieuc en juin 2013 où ils connaissent la rue pendant trois mois, avant d’être pris en charge par des militants de RESF.
Il faudra assigner le préfet de Côte d’Armor pour que celui-ci, sous la contrainte d’une décision de justice, se décide à les loger. Mais, revanchard, afin de la punir et de la couper de ses soutiens, il promène la famille d’hôtel en hôtel et de ville en ville, de Saint-Brieuc à Loudéac puis à Dinan. Malgré des conditions de vie particulièrement difficiles - dormir dans la gare, dans un lavomatic ou dans la rue, la faim parfois, l’instabilité toujours - les enfants tiennent le coup. Dieu pratique le football dans un club, Dany est inscrit à l’académie de dessin locale. Même si, à chaque changement d’hébergement, ils découvrent une nouvelle école (ils auront ainsi été scolarisés dans trois établissements différents de septembre à janvier !) leurs résultats scolaires demeurent excellents.
Impossible pour les parents de déposer une demande d'asile, puisque cette dernière a été déposée en Belgique où elle a fait l'objet d'un refus. Le préfet de Côte d'Armor a cependant toute latitude pour les régulariser à titre humanitaire. Il choisit pourtant de suivre à la lettre les instructions de l'expulseur en chef de Beauvau. Sous le coup d’un arrêté de réadmission vers la Belgique daté d’octobre 2013, la famille est assignée à résidence dans un hôtel de Dinan et doit régulièrement pointer au commissariat. Le 22 janvier, à 5h30 du matin, des coups brutaux résonnent à la porte de la chambre. Huit policiers débarquent, pressent la famille à peine réveillée de réunir quelques affaires en affirmant qu’ils sont chargés de conduire tout le monde au commissariat. Cerif a juste le temps de prévenir un militant de RESF qu’on les emmène. Les enfants pleurent ....
Embarqués dans un fourgon, les Lungolo découvrent alors qu’ils quittent Saint Brieuc et, qu’en fait de transfert au commissariat briochin, c’est vers l’aéroport de Rennes Saint Jacques que se dirige le véhicule... Expulsion rondement menée, en catimini, afin de déjouer la surveillance des militants et d’éviter toute mobilisation. Sébastien Dollé, l’avocat de la famille, n’a même pas été informé de l’imminence de l’expulsion.
A l’aéroport, l’un des avions privés du ministère des expulsions les attend. Six policiers, dont une femme, embarquent avec eux, direction Bruxelles. « C’était des costauds, raconte Cerif. Une fois dans l’avion, ils m’ont installé entre eux, me serraient de près. Je leur ai dit qu’il n’y avait pas de raison qu’ils se comportent ainsi avec moi puisque j’étais calme et que je n’avais pas l’intention de me rebeller ». Dieu ajoute : « Pendant tout le vol, ils ont discuté, rigolé, alors que nous, on souffrait. Ça m’a énervé ».
A leur arrivée, Judith et Cerif et les enfants partent en zone d’attente. Des matelas sont étalés au sol, plusieurs familles, des personnes seules attendent là, prostrées ... Un policier, qui s’étonne que la famille soit arrivée à bord d'un avion privé, tend un document en flamand à Judith et à Cerif. Ne comprenant pas la langue, Cerif refuse de le signer. Quelques minutes plus tard, la famille est libre, seule, sans moyens, avec ses maigres paquets. Cerif appelle Saint-Brieuc et prévient qu’ils ont été relâchés ... puis, plus rien, les téléphones de Judith et Cerif sonnent dans le vide. L’inquiétude gagne.
En fait, craignant un revirement de situation et qu’une arrestation leur fasse connaître les geôles d’un centre fermé (l’équivalent belge d’un centre de rétention), les Lungolo ont pris le train jusqu’à la gare du Midi, en plein Bruxelles. Il est tard, il fait froid.
Sur place, Cerif s’adresse à un policier et lui demande où il pourrait faire dormir ses enfants. On l’envoie promener. C’est un Congolais, qui a entendu Cerif et Judith parler lingala, qui emmène tout le monde au Samu social et leur offre une carte de téléphone. A l’abri pour la nuit, Cerif et Judith sont mis dehors à 7 heures du matin le lendemain. On autorise avec bonté les enfants à rester sur place !
Toute la journée, les parents errent dans les rues et finissent par se réfugier à nouveau dans la gare du Midi, d’où ils appellent leur avocat. Celui-ci trouve rapidement un relais à Bruxelles et la famille est récupérée et mise à l’abri. Epuisée, démoralisée, elle essaie d’oublier pendant quelques jours un futur qui s’annonce désespérant et affirme ne pas vouloir rester en Belgique où elle a connu racisme et xénophobie.
Le 27 janvier, Cerif, Judith et leurs enfants sont à Paris. Le lendemain, le député Noël Mamère accueille la famille à l’Assemblée nationale : Cerif et Judith, accompagnés des garçons, y témoignent de leur volonté de reconstruire leur vie en France et de l’absurdité d’une politique qui broie les vies et les familles et brise les enfances. L’AFP publie une dépêche, RMC réalise des interviews.
Dans la soirée, ils rentrent à Saint Brieuc où un hébergement leur a été trouvé. Les garçons vont pouvoir retrouver leurs copains de classe et continuer leur scolarité si brutalement interrompue. Dieu veut pouvoir reprendre le foot et Dany le dessin.
Reste que la famille peut être à nouveau interpelée à tout moment et placée en rétention avec une nouvelle expulsion à la clé. Le cabinet de Valls, interrogé par l’AFP, s’est d’ailleurs fendu d’une déclaration menaçante : « C'est sa responsabilité si cette famille a décidé de se placer en situation irrégulière » ... A Saint Brieuc, la vigilance est de mise, et les pressions de la préfecture sur les militants commencent déjà à se faire sentir.
Pour expulser un couple et deux jeunes enfants, tous dangereux criminels au regard du déploiement de forces dont il a été fait preuve, Valls et le préfet de Côte d’Armor auront mobilisé trois ou quatre fourgons, un avion privé, deux pilotes, et quatorze policiers ... un coût qui se mesure en dizaines de milliers d’euros. Et ce, alors que l’Etat déclare vouloir traquer toute dépense inutile. Etait-il vraiment utile, si ce n’est à la carrière du ministre de l’intérieur, de faire la chasse aux plus fragiles - les déboutés du droit d’asile - de mobiliser ainsi les ressources de la République ? Etait-il vraiment indispensable, en dehors de satisfaire aux quotas d’expulsions que Valls se défend d’avoir quantifiés mais qui existent – le ministre lui-même se glorifiant des résultats de sa politique en alignant les chiffres et en se livrant à un concours de lancers de sans-papiers à l'extérieur des frontières avec le gouvernement précédent – de réveiller au petit matin et d’expulser en douce une famille qui a fait de la France son pays et a montré une telle détermination à rester ici?
Et surtout, qu’adviendra-t-il de Cerif et des siens s’ils devaient être expulsés vers la RDC ?
Nathalie Edme-Fessol
30 janvier 2014 | Par RESF